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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 09:49

Déniché par EVR...

 

Dans trois jours, la République fêtera le 14 juillet, l’anniversaire de la prise de la Bastille. Voici deux textes qui tirent des leçons de cette triste journée : de l’historien Jacques Bainville (1879,1936) et du romancier Jean Dutourd (1920,2011)

Supposons qu'on apprenne ce soir qu'une bande de communistes, grossie des éléments louches de la population, a donné l'assaut à la prison de la Santé, massacré le directeur et les gardiens, délivré les détenus politiques et les autres.

Supposons que cette journée reste dépourvue de sanctions, que, loin de là, on la glorifie et que les pierres de la prison emportée d'assaut soient vendues sur les places publiques comme un joyeux souvenir.

Que dirait-on ? Que se passerait-il ?

D'abord les citoyens prudents commenceraient à penser qu'il ne serait pas maladroit de mettre en sûreté leurs personnes et leurs biens. Tel fut, après 1789, le principe de l'émigration. Mais peut-être y aurait-il aujourd'hui plus de français qu'en 1789 pour accuser l'imprévoyance et la faiblesse du gouvernement et pour les sommer de résister à l'émeute.

Aujourd'hui le sens primitif du 14 juillet devenu fête nationale est un peu oublié et l'on danse parce que c'est le seul jour de l'année où des bals sont permis dans les rues. Mais reportons-nous au 14 juillet 1789 comme si nous en lisions le récit pour la première fois. Il nous apparaîtra qu'il s'agissait d'un très grave désordre, dont l'équivalent ne saurait être toléré sans péril pour la société, qui a conduit tout droit en effet à la Terreur et au règne de la guillotine, accompagnée des assignats. Et le gouvernement qui a laissé s'accomplir sans résister ces choses déplorables serait digne des plus durs reproches.

Nous avons connu un vieux légitimiste qui disait, en manière de paradoxe, que Louis XVI était la seule victime de la Révolution dont le sort fût justifié. Quel avait donc été le tort de Louis XVI ? Quand on lit les Mémoires de Saint-Priest, on s'aperçoit que l'erreur du gouvernement de 1789 n'a pas été d'être tyrannique (il n'était même pas autoritaire) ni d'être hésitant, ni d'être fermé aux aspirations du siècle. Son erreur, énorme et funeste, a été de ne pas croire au mal. Elle a été de ne pas croire qu'il y eût de mauvaises gens, des criminels capables de tout le jour où ils ne rencontrent plus d'obstacle.

Saint-Priest montre Louis XVI dans toutes les circonstances, et jusqu'au 10 août, ou peu s'en faut, convaincu que tout cela s'arrangerait et que ni les émeutiers de la Bastille ni les révolutionnaires n'étaient si méchants qu'on le disait, et d'ailleurs, au moins au début, bien peu de personnes le lui disaient. A la Convention, pendant son procès, Louis XVI répondait encore poliment, comme à des juges impartiaux et intègres. D'ailleurs on peut voir dans les Mémoires de Broussilof, qui viennent d'être présentés au public français par le général Niessel, que Nicolas II avait sur l'espèce humaine exactement les mêmes illusions, les mêmes illusions mortelles. Malheur aux peuples dont les chefs ne veulent pas savoir qu'il existe des canailles et restent incrédules quand on leur dit qu'il suffit d'un jour de faiblesse pour lâcher à travers un pays ses plus sinistres gredins !

Jacques Bainville dans son Journal - Tome III, 15 juillet 1929 

Il faut se garder de donner un nom aux choses : tant qu'elles n'en ont pas, elles n'existent pas, ou elles existent à peine ; en revanche, sitôt qu'elles sont désignées, décrites, exprimées, cataloguées, fût-ce faussement, on peut tout redouter. Les États généraux de 1789 ont commencé la Révolution en attribuant des noms officiels à des désirs, des aspirations, des idéaux et des chimères qui étaient vagues jusque-là, ou qu'on ne trouvait que dans les libelles des philosophes. La prise de la Bastille, ensuite, ne fut, comme dit Rivarol, qu'une « prise de possession ». Avec un peu de troupe, cet acte de violence, dont devaient sortir tant d'autres actes de violence, eût été évité. Mais le roi ne voulait pas « faire couler le sang français », ce qui est certes d'un brave homme, mais non d'un homme d'État qui ne se soucie pas d'avoir les mains propres ou sales, ni d'un roi, c'est-à-dire d'un spécialiste du gouvernement, sachant qu'une saignée pratiquée opportunément empêche que, plus tard, ce ne soit des torrents de sang qui coulent. Michelet appelle la période pendant laquelle régna Napoléon 1er le « tombeau de l'Empire » : le destin des millions de jeunes hommes qui sont descendus dans ce tombeau a été scellé le 14 juillet 1789. Deux escadrons la carabine pointée ou le sabre à la main eussent arrêté sans doute, par leur seule vue, les mille ou douze cents émeutiers parisiens qui vinrent à bout des huit tours et des murs de trois mètres d'épaisseur, défendus par des canons.

Jean Dutourd dans Le feld-maréchal von Bonaparte (Flammarion, 1996)

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