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25 septembre 2012 2 25 /09 /septembre /2012 04:35

... par "Madame Jospin" ...

L'homoparentalité en question, par Sylviane Agacinski

LE MONDE | 21.06.2007

 

Le terme d'"homoparentalité" ne désigne pas le fait, pour une personne homosexuelle, d'avoir des enfants. Les homosexuels ont toujours eu des enfants, avec une personne d'un autre sexe, sans avoir besoin de se définir comme "homoparents".

Le mot-valise "homoparentalité" a été forgé pour instaurer le principe d'un couple parental homosexuel et promouvoir la possibilité juridique de donner à un enfant"deux parents du même sexe". Or c'est bien l'institution d'un couple parental homosexuel qui fait question, dans la mesure où il abolirait la distinction homme/ femme au profit de la distinction entre homosexuels et hétérosexuels. Cette dernière division est-elle en l'occurrence pertinente ?

On semble ne pas remarquer que la revendication du "mariage homosexuel" ou de l'"homoparentalité" n'a pu se formuler qu'à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droit qui n'ont jamais existé : les "hétérosexuels". C'est en posant comme une donnée réelle cette classe illusoire de sujets que la question de l'égalité des droits entre "homosexuels et hétérosexuels" a pu se poser. Il s'agit cependant d'une fiction, car ce n'est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage ni la parenté, mais d'abord le sexe, c'est-à-dire la distinction anthropologique des hommes et des femmes.

Dans une civilisation comme la nôtre, héritière du droit romain, le mariage a toujours été l'union légale d'un homme avec une femme, dont il fait la mère de ses enfants : le mot français matrimonial garde la trace du mariage latin, lematrimonium, qui a pour but de rendre une femme mère (mater). Et, si nous sommes heureusement fort éloignés du droit romain et de l'inégalité des sexes qu'il instituait, le mariage n'en repose pas moins encore sur l'union des deux sexes en raison de leur complémentarité dans la génération.

Il est fort difficile de séparer la question du mariage "homosexuel" de celui de l'"homoparentalité", car nul ne peut ignorer qu'un "mariage homosexuel" instaurerait symboliquement comme couple parental deux personnes du même sexe et mettrait en question la filiation bilatérale des enfants (un côté maternel et un côté paternel).

On invoque généralement un culturalisme intégral pour affirmer que le droit civil et particulièrement l'institution du mariage et de la filiation sont de pures constructions, étrangères à la sexuation et à la génération. Mais il n'en est rien, car le lien de filiation unissant un enfant à ses parents est universellement tenu pour bilatéral, et cette bilatéralité serait inintelligible si elle ne s'étayait directement sur la génération sexuée.

C'est, à l'évidence, le couple complémentaire et dissymétrique mâle-femelle qui donne son modèle à la distinction des côtés paternel et maternel de la filiation. Qu'il y ait ici deux côtés ne signifie pas, bien entendu, que les parents civils soient toujours les mêmes personnes que les géniteurs ou parents naturels. On sait bien que la parenté civile ne coïncide pas nécessairement avec la génération biologique, comme on dit. Mais cela n'empêche pas que, en général, on ait cherché à faire coïncider l'une et l'autre : la fidélité des épouses a toujours été exigée pour que les pères soient, autant que possible, les géniteurs.

N'oublions pas non plus que l'ordre civil n'efface pas tout lien "biologique" : l'inceste reste tabou entre parents et enfants naturels, et la responsabilité morale des géniteurs, lorsqu'ils sont connus, ne s'efface pas simplement derrière la parenté légale.

Quoi qu'il en soit, il est impossible de ne pas voir l'analogie entre la dissymétrie sexuelle qui préside à la génération et les deux côtés, masculin et féminin, de l'ascendance d'un individu. Il n'y a là aucune confusion entre la nature et le social, mais il y a une analogie, c'est-à-dire une identité de structure entre le couple géniteur, sexué, et la bilatéralité de la filiation. L'altérité sexuelle donne son modèle formel à la bilatéralité des ascendants (c'est pour cela, et pour cela seulement qu'ils sont deux, et non pas trois ou quatre).

En résumé, si l'ordre humain, social et symbolique, donne aux individus une filiation double, mâle et femelle, ce n'est pas en raison des sentiments qui peuventlier les parents entre eux, des désirs qui les animent ou des plaisirs qu'ils se donnent, c'est en raison de la condition sexuée de l'existence humaine et de l'hétérogénéité de toute génération dont la culture a jusqu'ici voulu garder le modèle.

Il s'agit donc de savoir si l'institution du mariage et de la filiation doit continuer àinscrire chacun dans l'ordre d'une humanité elle-même sexuée, ou bien si l'on veutbriser ce modèle dans lequel s'articulent la génération, la différence des sexes et celle des générations.

Ajoutons que, inévitablement, la reconnaissance du mariage entre deux personnes du même sexe leur ouvrirait un droit à l'adoption conjointe, voire à la procréation assistée. Dans ce cas, la société serait conduite à autoriser, voire à prendre en charge, les procréations médicalement assistées (PMA) pour des couples de femmes (insémination avec donneur), mais aussi pour des couples d'hommes, et alors la légalisation des "mères porteuses" tenterait de s'imposer au nom précisément de l'égalité des couples.

Cependant, il est conforme à l'égalité des droits entre les individus de reconnaître à chacun un droit à l'adoption, sans discrimination de sexe ni de sexualité. Aussi, si la personne adoptante, à titre individuel, vit avec un autre homme, ou une autre femme, l'intérêt de l'enfant est que cette personne puisse avoir un lien juridique avec lui (que l'enfant ait ou non, par ailleurs, un deuxième parent de l'autre sexe).

La fonction de beau-père, ou de belle-mère, assortie de droits et de devoirs, pourrait fournir le modèle d'une relation familiale nouvelle, comparable à celle d'une famille recomposée, sans qu'un père et son compagnon, ou une mère et sa compagne, soient confondus avec un couple parental.


Sylviane Agacinski, philosophe, est professeur agrégée à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. 
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Un texte plus complet (et complexe) est repris ICI
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