François Hollande a été reçu par le pape François. Dans son allocution après l'entretien, le président de la république s'est situé au-dessus des religions dans la grande tradition de la laïcité française. A ce propos, voici un texte (1) de Jean Ousset, fondateur de la Cité Catholique - dont on commémore cette année le centenaire de la naissance et les 20 ans de la mort - et dans lequel il nous parle des rapports de la politique et de la religion.
Rapports de la politique et de la religion. Rapports du "royaume de Dieu" et de la "cité charnelle". Problèmes délicats et toujours controversés !
Combien d'erreurs ces difficultés ont entrainées au cours des siècles .
Et aujourd'hui même combien s'inquiètent du péril toujours possible de la "temporalisation d'une fin, en réalité transcendante", sinon d'une identification du "royaume de Dieu", avec telles structures politiques et sociales d'un Etat, fût-il chrétien.
Pendant qu'à l'opposé, d'autres erreurs tendent à séparer religion et vie publique ; soit par haine de la religion et pour combattre son influence dans la Cité ; soit par amour pusillanime de l'Eglise, et crainte de la voir bousculée, inquiétée si elle sort du sanctuaire. Le résultat étant de part et d'autre un naturalisme politique et social de plus en plus profond. Dieu chassé de la vie publique, soit par haine, soit pour épargner son Eglise, mais toujours au plus grand profit de la Révolution.
Ainsi perdons-nous de vue l'unité de l'univers; vivants dans un monde double, dont chaque partie serait coupée de l'autre : univers spirituel et univers temporel. Ecartelés, deux fins nous sollicitent, et ce que nous consacrons à l'une nous semble perte pour l'autre.
II n'est pas rare même que notre interprétation du "rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" nous incite à poursuivre certes cette fin qui est Dieu, mais en considérant César comme étranger au plan divin et, partant, inutile à notre progression spirituelle.
Autrement dit : César nous paraît désigner un ordre en marge de notre fin divine, ordre qui ne relève pas de Dieu. Domaine ordonné à une fin non seulement distincte mais pratiquement indépendante de la fin dernière et suprême de la Création.
Authentique manichéisme d'un univers divisé entre deux maîtres : le monde de Dieu et le monde de César.
L'ironie veut même que l'explicite reconnaissance des droits de César par l'Evangile - "...quae sunt Caesaris Caesari ..." (2) - soit fréquemment rappelée par cette catégorie de chrétiens pour lesquels il semble, par ailleurs, hors de propos que César, lui, ait à rendre à Dieu quelque chose.
Quoi d'étonnant à ce que l'ordre temporel, l'ordre civique et politique apparaisse comme en marge de l'ordre divin ? Objet d'une corvée, servitude des choses d'ici-bas, poids mort, obstacle, sinon perte de temps et d'énergie dans la poursuite de "l'unique nécessaire". Dangereuse diversion sur la seule voie spirituelle du salut.
(...) Comme si César n'appartenait pas à Dieu, ne relevait pas de Dieu, n'avait pas, à sa manière, à tendre vers cet unique but qui est la gloire externe de Dieu par le salut des âmes.
Que tout soit relatif, mais relatif à Dieu, seul principe et seule fin de tout le créé; telle est la notion fondamentale sans laquelle l'ordre humain se disloque, écartelé entre divers centres d'intérêts dont rien ne permet d'indiquer la hiérarchie et les justes relations.
(...) Qu'une "chose", surtout, aussi spécifiquement humaine, aussi importante que la politique, la vie sociale, puisse rester à l'écart de cette universelle perspective, cela est impensable et frise l'absurde. Cette fin divine et personnelle de l'homme, raison d'être des "choses qui sont sur la terre", ne peut pas ne pas être aussi raison d'être de la Cité.
L'ordre civique et politique n'est pas, ne peut pas être en marge de l'ordre créé, et comme en état d'indépendance par rapport à la fin suprême de la Création.
Si, comme l'a dit Saint Paul, "Haec est enim voluntas Dei, sanctificatio vestra" (3), il devient clair que la valeur des "choses qui sont sur la terre" ne peut s'établir qu'en fonction de ce but fixé par la volonté divine.
Partant, à la poursuite de cette fin, la politique ne peut qu'être un "moyen".
Plus d'opposition entre Dieu et César. Plus d'univers double. En une seule vision tout apparaît en place et dans l'ordre. Une seule volonté, une seule préoccupation : la gloire de Dieu, le salut des âmes.
Bien que distinct du "spirituel" (et en un certain sens : autonome), César n'est qu'une tumeur maligne, un cancer de la Création s'il n'y est un "moyen" (direct ou indirect) au service de la seule fin. Et, s'il a une valeur réelle, il n'a, il ne peut avoir que la valeur de son importance au service de la dite fin.
1 - Permanences N°331 d'avril-mai 1996, extrait de "Fondements de la Cité", pp. 121 à 124.
2 - Matt. XXII, 21. Marc XII, 17. Luc XX, 25.
3 - Thess. IV, 3. "La volonté de Dieu est que vous deveniez des saints ".
Merci à EVR