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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 21:28
Souvenirs. Carnets inédits de Hans et Sophie Scholl, étudiants catholiques qui incarnèrent la résistance allemande au nazisme.

 

On se sent petit. Voici publiés les lettres et carnets des deux étudiants, Hans et Sophie Scholl, qui dirigèrent le groupe résistant de La Rose blanche dans l’Allemagne en guerre.

Ils disposaient, on l’imagine, de peu de moyens pour tenter d’éveiller leurs concitoyens devant les horreurs hitlériennes. Avec un petit nombre d’amis, ils distribuèrent six tracts, en réalité des textes argumentés qui sont des analyses de philosophie politique sur la culpabilité allemande, sur la “dictature du mal”, sur la grandeur de la conscience. Le frère et la sœur furent arrêtés le 18 février 1943, condamnés à mort et guillotinés quel­ques jours après. Ils avaient respectivement 24 et 21 ans.

Les lettres ne racontent pas l’histoire des tracts, tenue naturellement secrète. Mais elles laissent voir l’esprit et le caractère de ces étudiants qui furent dépositaires, avec quelques autres, de la conscience entière d’un peuple : comment ils ont pu d’abord acquérir cette lucidité au sein de la propagande omniprésente, puis courir à la mort pour jeter une si frêle flamme dans l’atmosphère obscure.

Il est bien étrange que la France, pays où la condamnation du nazisme représente depuis quarante ans la seule armature morale et le principal socle culturel, ignore pratiquement l’histoire de La Rose blanche. Déverser des propos haineux contre Hitler si longtemps après ne coûte pas de pain (même si c’est un ticket de bonne conduite). En revanche, les écrits de ceux qui ont littéralement payé de leur vie acquièrent une singulière valeur. Hans et Sophie Scholl n’étaient pas seulement antinazis : mais antitotalitaires. Ils ne payaient tribut à aucune oppression de rechange. Ils étaient tout simplement croyants, et nourris de lectures et de réflexions propres à leur inculquer la distance face à la propagande. Ils n’ont pu résister qu’en s’appuyant sur un autre socle, moral et spirituel. L’essentiel de ces pages réside dans les débats de la conscience personnelle : comment être sûr de pouvoir se justifier à ses propres yeux, si l’on sait ne pas pouvoir se justifier devant la loi positive ?

Hans et Sophie Scholl avaient grandi dans une fratrie nombreuse, où culture et religion tenaient une place de choix. L’esprit critique, que le père avait semé, pouvait alors dans ces circonstances se déployer en une résistance fatale. Hans est apprenti médecin, et passionné de chevaux. Sophie dessine, joue de l’orgue, tombe en contemplation devant la nature et commence des études de biologie et de philosophie. Ils lisent Platon et Augustin, Pascal, Nietz­sche ou Nicolas de Cues. Ou bien Dante, Berdiaev, Bloy. Souvent séparés : Hans mobilisé en Pologne et en France, Sophie dans le “service du travail”, où elle cache ses livres sous les draps.

Dès l’hiver 1941 flotte une atmos­phère de fin du monde. Hans raconte devant Varsovie son impression terrifiée et s’émer­veille de la France dont il apprend la langue. Sophie décrit l’indifférence de ses compagnes de chambrée face à la dévastation de tout. En même temps, court encore la petite histoire, la vie quotidienne et aussi les beaux jours d’une jeunesse sportive et déjà savante : la montagne et le ski, les soirées en refuge pendant lesquelles on lit ensemble Bernanos ou le Soulier de satin, où l’on débat de la “faim de l’âme”. Pour l’un et pour l’autre, les lettres révèlent une renaissance de la foi, en réponse à la désolation ambiante.

Sophie Scholl exprime un mysticisme weilien, écrit des méditations et des examens de conscience. Hans demande au Dieu d’amour de l’aider à triompher de ses doutes. Une hauteur spirituelle, encore enfantine, dessine une étoffe de héros. La passion intellectuelle et morale s’empare de la lutte entre la justice et la loi positive. Dans le premier tract, le régime hitlérien était décrit comme « une machine de guerre athée ». Les étudiants de La Rose blanche savaient déjà que, d’un totalitarisme à l’autre, les massacres de masse signaient la mort de Dieu. Sans doute est-ce là l’explication de l’oubli dans lequel, ici, leur geste fut si longtemps confiné.  

Chantal Delsol de l'Institut, Valeurs Actuelles, le 27-11-2008
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