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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 14:16

 

Les élections municipales viennent de se terminer. Arrivent dans sept semaines les élections européennes. En guise de préparation, l'économiste Frédéric Lordon publie La Malfaçon (aux éditions "Les liens qui libèrent"), réflexion sur la manière dont la monnaie unique européenne a détruit les souverainetés populaires.

Hervé Nathan recueille ses propos dans Marianne du 29 mars 2014  :

 

Fut un temps où il était impossible d'émettre la moindre critique sur l'euro. La pensée économique était aussi unique que la monnaie et endormait les 324 millions de citoyens peuplant ladite zone euro. La crise de 2008, la plus longue et profonde depuis 1930, a balayé les certitudes au point que l'euro bashing serait presque devenu tendance. (...)

 

 Les traités constitutifs de l'euro ont littéralement congelé la politique économique, l'ont emprisonnée dans des rets si serrés que les peuples n'ont plus le pouvoir de choisir leur avenir, ce qui est bien l'absence de toute démocratie. Le réquisitoire implacable de Lordon, c'est que tout ça n'est pas le fait du hasard : «Que le peuple souverain puisse décider et réviser à sa guise, c'est ce que les puissances qui dominent la construction européenne ne veulent à aucun prix. Il ferait beau voir que le souverain décide contre les intérêts du capital.». (...)
Frédéric Lordon : « Je ne situe pas l'enjeu majeur de la sortie de l'euro dans une stratégie économique de dévaluation du change mais dans une entreprise politique de restauration de la souveraineté. Dont la monnaie unique a opéré une invraisemblable destruction. Il faut d'abord y voir l'effet de l'ordolibéralisme allemand [courant libéral apparu dans les années 30] pour lequel le caractère souverain des politiques publiques est une abomination de principe, l'arbitraire et la déraison étatiques par excellence. Sans surprise, c'est en matière de politique monétaire que cette phobie a été portée à son plus haut point. Imposée telle quelle à l'Europe par l'Allemagne, elle a conduit à un modèle qui asservit la conduite des politiques économiques à des règles a priori, celles des traités. Mais dans «politique économique» il y a bien «politique» ! Terme qui se trouve pourtant purement et simplement annulé par réduction à une automatique de la «stabilité». Pour faire bonne mesure, l'Allemagne, anticipant non sans raison que les règles pouvaient être violées, a obtenu que les politiques économiques soient exposées au jugement permanent des marchés de capitaux, instance disciplinaire à la puissance sans équivalent et infaillible garante du respect des normes de l'orthodoxie, le nom convenable dont s'habillent les intérêts de la rente. Les tares économiques de cette construction sont maintenant parfaitement connues. Mais ses tares politiques sont bien pires. L'ordolibéralisme euro-allemand a eu pour effet de barrer l'essence même de la souveraineté politique. Et l'Europe présente nous oblige à répondre à cette question : acceptons-nous de vivre dans un monde d'où toute substance politique a été retirée ? (...)

La tare congénitale de l'euro se tient (...) dans le fait d'avoir constitutionnalisé des contenus de politiques publiques, économique et monétaire en l'occurrence. Rêve néolibéral assurément, mais monstruosité scandaleuse à quiconque conserve un peu de sens aux mots de «souveraineté démocratique». On constitutionnalise les principes généraux de l'organisation des pouvoirs publics, ou bien des droits fondamentaux. Mais la sanctuarisation irréversible, sous la norme juridique la plus haute, donc la moins atteignable, de ce que doivent être et de ce que doivent faire les politiques publiques, c'est une infamie qui ruine jusqu'à l'idée même de modernité politique. Il nous reste donc le loisir d'organiser à notre guise la flicaille et les Vélib'. Mais de ce qui pèse le plus lourdement sur les conditions d'existence de la population, les politiques économiques, nous ne pouvons plus discuter : les réponses sont déjà tout écrites et enfermées dans d'inaccessibles traités. C'est une monstruosité politique contre laquelle il faut redire que la démocratie consiste dans le droit irrécusable à la réversibilité, à la possibilité permanente et inconditionnelle de la remise en jeu, dans le cadre de la délibération politique ordinaire.

(...)

Je soutiens en effet que la base nationale a pour rustique vertu que les structures institutionnelles et symboliques de la souveraineté y sont là, tout armées, et prêtes à être instantanément réactivées en cas de besoin. Cependant, qu'une stratégie de protectionnisme à l'échelle européenne soit plus efficace, j'en conviens sans la moindre difficulté. Mais en principe seulement. Car, en pratique, qui peut imaginer un seul instant qu'une Commission intoxiquée de libre-échangisme jusqu'au trognon puisse jamais vouloir une chose pareille ? A moins, bien sûr, qu'il ne se produise une miraculeuse unanimité intergouvernementale pour le vouloir à sa place... (...)
Il faut en finir avec ce fétichisme européen, qui cherche à «faire l'Europe» sans jamais s'interroger sur les conditions de possibilité politiques de ses lubies successives. Et il faut en finir aussi avec ces imprécations, moitié débiles, moitié hallucinées, qui nous promettent l'enfermement façon forteresse et la régression obsidionale en cas d'abandon de l'euro, comme si la France d'avant l'euro, comme si les 170 nations hors Union européenne n'étaient que des Corée du Nord. La bêtise d'une certaine éditocratie est sans fond. Il n'y a que des avantages à cesser de poursuivre des fantasmes de constructions mal conçues, pensée défectueuse qui a produit suffisamment de désastres pour qu'on s'en avise. On peut ne pas faire monnaie unique ni libre-échange sans rivage, et pourtant continuer d'approfondir tous les autres liens entre peuples, précisément en déshérence aujourd'hui : scientifiques, artistiques, éducatifs, culturels. Incroyable : il y a une vie possible entre les nations hors la circulation des marchandises et des capitaux ! »

Merci à EVR

La malfaçon : Monnaie européenne et souveraineté démocratique par Lordon

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